Le Bonheur éternel
L’euphorie s’entend comme le bonheur, la joie, la liesse, le contentement, l’espoir, la béatitude, la satisfaction, le bien-être, la bonne humeur, l’aise, l’enthousiasme, l’hilarité.
Et perpétuel(le) c’est qui est éternel, immuable, continuel, incessant, interminable, sempiternel, durable, impérissable, indestructible, immortel, inaltérable, stable, invariable, constant, permanent, indissoluble, indéfectible, continu, persistant, régulier, ininterrompu.
Donc l’Euphorie perpétuelle c’est juste le bonheur éternel.
« Il est des êtres sur qui le bonheur s’acharne comme s’il était le malheur et il l’est en effet. » François Mauriac.
Épisode 1. :
LA PÉNITENCE INVISIBLE
Le bonheur est considéré comme un fardeau qui pèse sur celui qui est à sa quête. D'où l'expression : la pénitence éternelle. Dans ceci est le bonheur est perçu sous trois angles:
✓ le bonheur, synonyme de l'angoisse ;
✓ le bonheur, synonyme de frustration ;
✓ le bonheur, synonyme de souffrance.
Pourquoi tout ceci?
Parce que le bonheur est fugitif.
Comment faire pour s'en libérer ?
C'est simple, se défaire de la caricature fabriquée de toute pièce : le bonheur comme absence de douleur, la satisfaction totale. Autrement dit se contenter de ce qu'on a et de ce qu'on est : c'est ça le bonheur.
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En 1738 le jeune Mirabeau adresse une lettre à son ami Vauvenargues où il lui reproche de se laisser vivre au jour le jour, de ne pas faire de programme de bonheur :
« Eh quoi, mon cher, vous pensez continuellement, vous étudiez, rien n’est au-dessus de la portée de vos idées et vous ne songez pas un moment à vous faire un plan fixe vers ce qui doit être notre unique objet : le bonheur. »
Et Mirabeau d’énoncer à son correspondant sceptique les principes qui dirigent sa conduite :
Se défaire des préjugés, préférer la gaieté aux humeurs, suivre ses inclinations tout en les épurant.
« Soyez heureux ! »
Comment savoir si l’on est heureux ?
Qui fixe la norme ?
Pourquoi faut-il l’être, pourquoi cette recommandation prend-elle la forme de l’impératif ? Et que répondre à ceux qui avouent piteusement : je n’y arrive pas ?
Bref ce principe paraîtrait vite un fardeau à nos jeunes gens : se découvrant seuls comptables de leurs revers ou de leurs succès, ils constateraient que le bonheur tant attendu les fuit à mesure qu’ils le poursuivent. Ils rêveraient comme tout le monde de la synthèse admirable, celle qui cumule réussite professionnelle, amoureuse, morale, familiale et au-dessus de chacune, telle une récompense, la satisfaction parfaite.
Les milles merveilles annoncées n’arrivent qu’au compte-gouttes et dans le désordre, rendant plus âpre la quête, plus lourde la gêne.
Rien de plus vague que l’idée de bonheur, ce vieux mot prostitué, frelaté, tellement empoisonné qu’on voudrait le bannir de la langue. Il est de la nature de cette notion d’être une énigme, une source de disputes permanentes, une eau qui peut épouser toutes les formes mais qu’aucune forme n’épuise. Il est un bonheur de l’action comme de la contemplation, de l’âme comme des sens, de la prospérité comme du dénuement, de la vertu comme du crime. Les théories du bonheur, disait Diderot, ne racontent jamais que l’histoire de ceux qui le font.
Le projet d’être heureux rencontre trois paradoxes. Il porte sur un objet tellement flou qu’il en devient intimidant à force d’imprécision. Il débouche sur l’ennui ou l’apathie dès qu’il se réalise(en ce sens le bonheur idéal serait un bonheur toujours assouvi, toujours renaissant qui éviterait le double piège de la frustration et de la satiété). Enfin il élude la souffrance au point de se retrouver désarmé face à elle dès qu’elle resurgit.
Dans le premier cas l’abstraction même du bonheur explique sa séduction et l’angoisse qu’il génère. Non seulement nous nous méfions des paradis préfabriqués mais nous ne sommes jamais sûrs d’être vraiment heureux. Se le demander, c’est déjà ne plus l’être. De là que l’engouement pour cet état soit lié aussi à deux attitudes, le conformisme et l’envie, les maladies conjointes de la culture de la démocratie : l’alignement sur les plaisirs majoritaires, l’attraction pour les élus que la chance semble avoir favorisés.
Dans le second le souci du bonheur est contemporain en Europe, dans sa forme laïque, de l’avènement de la banalité, ce nouveau régime temporel qui se met en place à l’aube des temps modernes et voit triompher la vie profane, réduite à son prosaïsme, après le retrait de Dieu. La banalité ou la victoire de l’ordre bourgeois : médiocrité, platitude, vulgarité.
Enfin un tel objectif, en visant à éliminer la douleur, la replace malgré lui au cœur du système. Si bien que l’homme d’aujourd’hui souffre aussi de ne plus vouloir souffrir exactement comme on peut se rendre malade à force de chercher la santé parfaite. Notre temps raconte d’ailleurs une étrange fable : celle d’une société tout entière vouée à l’hédonisme et à qui tout devient irritation, supplice. Le malheur n’est pas seulement le malheur : il est pire encore, l’échec du bonheur.
Par devoir du bonheur, on entend donc cette idéologie propre à la deuxième moitié du XXe siècle et qui pousse à tout évaluer sous l’angle du plaisir et du désagrément, cette assignation à l’euphorie qui rejette dans la honte ou le malaise ceux qui n’y souscrivent pas. Double postulat : d’un côté tirer le meilleur parti de sa vie ; de l’autre s’affliger, se pénaliser si l’on n’y parvient pas. Perversion de la plus belle idée qui soit : la possibilité accordée à chacun de maîtriser son destin et d’améliorer son existence. Comment un mot d’ordre émancipateur des Lumières, le droit au bonheur, a-t-il pu se transformer en dogme, en catéchisme collectif ?
Si multiples sont les significations du Bien suprême qu’on le fixe alors sur quelques idéaux collectifs : la santé, la richesse, le corps, le confort, le bien-être, comme autant de talismans sur lesquels il devrait venir se poser à la manière d’un oiseau sur un appât. Les moyens prennent rang de fins et révèlent leur insuffisance dès lors que le ravissement recherché n’est pas au rendez-vous. Si bien que, cruelle méprise, nous nous éloignons souvent du bonheur à travers les moyens mêmes qui devraient nous permettre de l’approcher. D’où les bévues fréquentes à son sujet : qu’on doit le revendiquer comme un dû, l’apprendre comme une matière scolaire, le construire à la façon d’une maison ; qu’il s’achète, se monnaye, que d’autres enfin le possèdent de source sûre et qu’il suffit de les imiter pour baigner tout comme eux dans la même aura.
Contrairement à un lieu commun inlassablement répété depuis Aristote, il n’est pas vrai que nous recherchions tous le bonheur, valeur historiquement datée. Il en est d’autres, la liberté, la justice, l’amour, l’amitié qui peuvent primer sur celle-là. Et comment savoir ce que cherchent tous les hommes depuis l’origine des temps sauf verser dans la généralité creuse ?
Il ne s’agit pas d’être contre le bonheur mais contre la transformation de ce sentiment fragile en véritable stupéfiant collectif auquel chacun devrait s’adonner sous les espèces chimiques, spirituelles, psychologiques, informatiques, religieuses. Les sagesses et les sciences les plus élaborées doivent avouer leur impuissance à garantir la félicité des peuples ou des individus. Celle-ci, chaque fois qu’elle nous effleure, nous fait l’effet d’une grâce, d’une faveur, non d’un calcul, d’une conduite spécifique. Et l’on connait peut-être d’autant plus les bontés du monde, la chance, les plaisirs, la bonne fortune que l’on a déserté le rêve d’atteindre la béatitude avec une majuscule.
L’on aurait d’ores et déjà envie de répondre au jeune Mirabeau :
J’aime trop la vie pour ne vouloir être qu’heureux.
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