Du bonheur
Si l’argent ne fait pas le bonheur, rendez-le !
Pascal Bruckner,
« L’argent tue toutes les hiérarchies liées à la naissance, au statut social sauf une, indépassable : la hiérarchie de l’argent. Méfions-nous d’abord de quiconque claironne (annonce tout haut) son mépris à l’égard du veau d’or : soyez assuré qu’il le chérit dans son cœur ou ne rêve que d’en priver les autres. »
La richesse est d’abord un spectacle qui s’étale, réjouit les yeux, creuse les appétits, aiguise la rancune. Comme si les riches avaient besoin aussi d’être reconnus par ceux qui n’ont rien et devaient tout rafler, même les apparences du plébiscite.
Longtemps, les castes supérieures de nos sociétés ont incarné l’alliance du savoir-vivre, de la beauté et des manières ; elles n’étaient pas seulement affranchies du besoin, elles portaient l’espèce humaine à un degré de raffinement et d’extravagance jamais imaginés.
D’une part, les riches ne sont pas malheureux et encore moins repentants. Lorsqu’il était réparti entre très peu de mains, l’argent semblait incarner toutes les merveilles du monde. L’extension du confort et du bien-être à une majorité a supplanté à la fois la misère et la grande fortune. La possibilité ouverte à chacun de s’enrichir ou du moins connaitre l’aisance a tout à la fois accélérée l’envie et la banalité un univers qui semblait si prodigieuse.
Le riche est un pauvre qui a réussi. Surtout quand on voit tant de jeunes devenir, grâce aux nouvelles technologies, milliardaires à trente ans, toute accession au sommet de la pyramide engendre le plus souvent discipline et conformisme : sans compter la peur de n’être aimé que pour son compte bancaire et devenir la proie des chercheurs d’or( hommes ou femmes spécialisés dans la chasse aux milliardaires qu’ils épousent pour mieux les essorer ensuite par un divorce retentissant.)
L’argent tue toutes les hiérarchies liées à la naissance, au statut social sauf une, indépassable : la hiérarchie de l’argent. Méfions-nous d’abord de quiconque claironne (annonce tout haut) son mépris à l’égard du veau d’or : soyez assuré qu’il le chérit dans son cœur ou ne rêve que d’en priver les autres : l’argent, c’est son avantage, reste un moyen de préserver la liberté individuelle, de désinfecter les rapports sociaux de toute adhérence affective, d’accélérer à une certaine autonomie.
La pauvreté subie est haïssable qui cumule privations et humiliations, renforce la gêne par la honte. Dans toutes les circonstances, l’argent est à classer parmi les préférables dont il est permis de disposer si le destin vous met en situation d’en avoir. N’en déplaise à ses détracteurs, son indécence ne réside pas dans son existence mais dans sa rareté, dans sa confiscation insolente par une poignée ; l’argent c’est ce dont presque tout le monde manque et son problème principal réside dans son inégal répartition.
Il faut donc en revenir aux Anciens et admettre avec Aristote que la beauté, la richesse, la santé sont aussi les accessoires utiles à la bonne vie même s’ils ne se conforment pas avec elle.
Même si le vil métal est la putain universelle qui transforme tout en marchandise, y compris la personne humaine, même s’il faut rappeler sans cesse l’existence de valeurs, de sentiments qui ne s’achètent pas, l’utopie d’un monde sans argent fait partie de ces idéaux dont le monde a réellement besoin mais dont il serait dangereux de faire la base et le principe de l’ordre social.
Impossible de mépriser l’argent, impossible de le vénérer. Il a ceci de commun avec le bonheur qu’ils sont deux abstractions et représentent potentiellement des jouissances possibles. Avec lui, je possède les choses virtuellement sans qu’elles m’encombrent de leur matérialité.
Sa force et sa tragédie c’est l’élimination des obstacles : il le pulvérise, rend tous les buts accessibles sans délai.
Une ligne très fine, imperceptible sépare dans nos sociétés l’argent comme fin et comme moyen.
On est voué à rivaliser avec d’autres personnes de son rang pour les éblouir ou du moins les égaler. Sa joie vient alors de rafler ce dont les autres sont privés et d’épater ses pairs. Le malheur de ces joutes (luttes), c’est qu’on trouve toujours plus opulent que soi, qui vous devance dans le classement. Car en la matière, il faut distinguer les riches des supers-riches et des ultra-riches, ce ne sont pas les mêmes catégories.
Il accompagne la joie de vie quand on l’oublie, qu’il disparait comme tel et n’interdit ni la possession raisonnée ni le libre vagabondage de l’esprit. Ne pas dépendre de l’argent, c’est savoir qu’on ne vivrait pas autrement si on en avait beaucoup plus. La plupart du temps, pour la plupart des gens, l’argent est comparable à la drogue : censé nous affranchir de tous les soucis, il devient le souci obsessionnel, une finalité en soi. Il nous persécute par son absence, nous encombre de sa présence, nous interdit d’entretenir avec lui une juste relation. L’appétit qu’il suscite s’impose avec une telle intransigeance qu’il rend le plaisir difficile voire impossible.
Si nul ne peut se vanter d’être à l’aise avec l’argent, c’est qu’il n’est pas sûr et travaille à notre agrément aussi bien que contre lui.
La vraie question est la suivante : quel prix sommes-nous prêts à payer pour avoir de l’argent, quelle place souhaitons-nous lui consentir ?
Si nous ne voulons pas être possédés parce que nous possédons, il est préférable de limiter ses dépenses si cela permet de satisfaire ses passions, d’augmenter la part de vraie vie amoureuse et spirituelle plutôt que de s’endetter sans fin. Mais il faut surtout rétablir des hiérarchies et à l’argent opposer d’autres sources de richesses culturelles, esthétiques, spirituelles, créer de nouvelles opulences, le temps libre, la poésie, l’amour, la libération du désir, le sens de la transfiguration quotidienne.
Le luxe aujourd’hui, réside dans tout ce qui se fait rare : la communion avec la nature, le silence, la méditation, la lenteur retrouvée, le plaisir de vivre à contretemps, la jouissance des œuvres majeures de l’esprit, autant de privilèges qui ne s’achètent pas parce qu’ils sont littéralement hors de prix.
Alors à une pauvreté subie, on peut opposer un appauvrissement choisi, qui est la redéfinition de ses priorités personnelles. Se dépouiller peut-être, préférer sa liberté au confort, à un statut social arbitraire mais pour une vie vaste, pour retourner à l’essentiel au lieu d’accumuler argent et objets comme un barrage dérisoire contre l’angoisse et la mort.
Le vrai luxe, c’est l’invention de sa propre vie, c’est la maitrise de sa destinée. Mais, tout ce qui est précieux est aussi difficile que rare. (Spinoza).
L’Euphorie perpétuelle,
p.p. 193-205.
p.p. 193-205.
Dollars américains |
« L’argent tue toutes les hiérarchies liées à la naissance, au statut social sauf une, indépassable : la hiérarchie de l’argent. Méfions-nous d’abord de quiconque claironne (annonce tout haut) son mépris à l’égard du veau d’or : soyez assuré qu’il le chérit dans son cœur ou ne rêve que d’en priver les autres. »
La richesse est d’abord un spectacle qui s’étale, réjouit les yeux, creuse les appétits, aiguise la rancune. Comme si les riches avaient besoin aussi d’être reconnus par ceux qui n’ont rien et devaient tout rafler, même les apparences du plébiscite.
Longtemps, les castes supérieures de nos sociétés ont incarné l’alliance du savoir-vivre, de la beauté et des manières ; elles n’étaient pas seulement affranchies du besoin, elles portaient l’espèce humaine à un degré de raffinement et d’extravagance jamais imaginés.
D’une part, les riches ne sont pas malheureux et encore moins repentants. Lorsqu’il était réparti entre très peu de mains, l’argent semblait incarner toutes les merveilles du monde. L’extension du confort et du bien-être à une majorité a supplanté à la fois la misère et la grande fortune. La possibilité ouverte à chacun de s’enrichir ou du moins connaitre l’aisance a tout à la fois accélérée l’envie et la banalité un univers qui semblait si prodigieuse.
Le riche est un pauvre qui a réussi. Surtout quand on voit tant de jeunes devenir, grâce aux nouvelles technologies, milliardaires à trente ans, toute accession au sommet de la pyramide engendre le plus souvent discipline et conformisme : sans compter la peur de n’être aimé que pour son compte bancaire et devenir la proie des chercheurs d’or( hommes ou femmes spécialisés dans la chasse aux milliardaires qu’ils épousent pour mieux les essorer ensuite par un divorce retentissant.)
L’argent tue toutes les hiérarchies liées à la naissance, au statut social sauf une, indépassable : la hiérarchie de l’argent. Méfions-nous d’abord de quiconque claironne (annonce tout haut) son mépris à l’égard du veau d’or : soyez assuré qu’il le chérit dans son cœur ou ne rêve que d’en priver les autres : l’argent, c’est son avantage, reste un moyen de préserver la liberté individuelle, de désinfecter les rapports sociaux de toute adhérence affective, d’accélérer à une certaine autonomie.
La pauvreté subie est haïssable qui cumule privations et humiliations, renforce la gêne par la honte. Dans toutes les circonstances, l’argent est à classer parmi les préférables dont il est permis de disposer si le destin vous met en situation d’en avoir. N’en déplaise à ses détracteurs, son indécence ne réside pas dans son existence mais dans sa rareté, dans sa confiscation insolente par une poignée ; l’argent c’est ce dont presque tout le monde manque et son problème principal réside dans son inégal répartition.
Il faut donc en revenir aux Anciens et admettre avec Aristote que la beauté, la richesse, la santé sont aussi les accessoires utiles à la bonne vie même s’ils ne se conforment pas avec elle.
Même si le vil métal est la putain universelle qui transforme tout en marchandise, y compris la personne humaine, même s’il faut rappeler sans cesse l’existence de valeurs, de sentiments qui ne s’achètent pas, l’utopie d’un monde sans argent fait partie de ces idéaux dont le monde a réellement besoin mais dont il serait dangereux de faire la base et le principe de l’ordre social.
Impossible de mépriser l’argent, impossible de le vénérer. Il a ceci de commun avec le bonheur qu’ils sont deux abstractions et représentent potentiellement des jouissances possibles. Avec lui, je possède les choses virtuellement sans qu’elles m’encombrent de leur matérialité.
Sa force et sa tragédie c’est l’élimination des obstacles : il le pulvérise, rend tous les buts accessibles sans délai.
Une ligne très fine, imperceptible sépare dans nos sociétés l’argent comme fin et comme moyen.
On est voué à rivaliser avec d’autres personnes de son rang pour les éblouir ou du moins les égaler. Sa joie vient alors de rafler ce dont les autres sont privés et d’épater ses pairs. Le malheur de ces joutes (luttes), c’est qu’on trouve toujours plus opulent que soi, qui vous devance dans le classement. Car en la matière, il faut distinguer les riches des supers-riches et des ultra-riches, ce ne sont pas les mêmes catégories.
Il accompagne la joie de vie quand on l’oublie, qu’il disparait comme tel et n’interdit ni la possession raisonnée ni le libre vagabondage de l’esprit. Ne pas dépendre de l’argent, c’est savoir qu’on ne vivrait pas autrement si on en avait beaucoup plus. La plupart du temps, pour la plupart des gens, l’argent est comparable à la drogue : censé nous affranchir de tous les soucis, il devient le souci obsessionnel, une finalité en soi. Il nous persécute par son absence, nous encombre de sa présence, nous interdit d’entretenir avec lui une juste relation. L’appétit qu’il suscite s’impose avec une telle intransigeance qu’il rend le plaisir difficile voire impossible.
Si nul ne peut se vanter d’être à l’aise avec l’argent, c’est qu’il n’est pas sûr et travaille à notre agrément aussi bien que contre lui.
La vraie question est la suivante : quel prix sommes-nous prêts à payer pour avoir de l’argent, quelle place souhaitons-nous lui consentir ?
Si nous ne voulons pas être possédés parce que nous possédons, il est préférable de limiter ses dépenses si cela permet de satisfaire ses passions, d’augmenter la part de vraie vie amoureuse et spirituelle plutôt que de s’endetter sans fin. Mais il faut surtout rétablir des hiérarchies et à l’argent opposer d’autres sources de richesses culturelles, esthétiques, spirituelles, créer de nouvelles opulences, le temps libre, la poésie, l’amour, la libération du désir, le sens de la transfiguration quotidienne.
Le luxe aujourd’hui, réside dans tout ce qui se fait rare : la communion avec la nature, le silence, la méditation, la lenteur retrouvée, le plaisir de vivre à contretemps, la jouissance des œuvres majeures de l’esprit, autant de privilèges qui ne s’achètent pas parce qu’ils sont littéralement hors de prix.
Alors à une pauvreté subie, on peut opposer un appauvrissement choisi, qui est la redéfinition de ses priorités personnelles. Se dépouiller peut-être, préférer sa liberté au confort, à un statut social arbitraire mais pour une vie vaste, pour retourner à l’essentiel au lieu d’accumuler argent et objets comme un barrage dérisoire contre l’angoisse et la mort.
Le vrai luxe, c’est l’invention de sa propre vie, c’est la maitrise de sa destinée. Mais, tout ce qui est précieux est aussi difficile que rare. (Spinoza).
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